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#33 Les Floridées (seconde partie)

Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires de la Manche (suite)

Une algue rouge, mais est-elle vraiment rouge ? Peut-on se fier à la mer dans ses profondeurs. Elle modifie les couleurs de tout ce qu’elle enfouit dans son bain. Elle songe qu’il en va de même dans ses souvenirs. Le temps en modifie la teinte. À peine en a-t-elle conscience. Le salut de Ben aussi peut-être un jour se tairait-il dans sa tête, ce cri étrange qu’il avait lancé, sa sonorité particulière. C’est pourtant la première chose qu’elle entend chaque matin avant d’ouvrir les yeux. Elle aurait beau essayer de s’en souvenir, un jour elle ne l’entendrait plus et son geste, le bras de Ben tendu vers l’inscription de la villa perdrait consistance, lui aussi se brouillerait d’incertitude. Depuis le « Hi » qu’il avait lancé ce premier jour vers elle qui se tenait sur le perron à regarder on ne sait quoi. Comme cela lui arrive lorsqu’elle est indécise, un temps à marcher sur la plage ou pas ? Et Ben qui passe et sans doute croit-il que Floridées c’est pareil que Floride, un sursaut de sentiment d’appartenance peut-être, quelque chose qui les aurait liés, rapprochés, eux qui ne s’étaient jamais parlés, qui ne se parleraient sans doute jamais, mais ce geste qu’il referait vers elle, et rien d’autre. Ramenant le souvenir du seul voyage qu’elle avait fait, c’était avant François, et toujours Monterey qui surnagerait de toute la Californie, ce qu’elle en avait visité, et pourquoi Monterey, avec cette avancée sur l’eau toute en bois et les otaries, « sea lions » ils disent là-bas, lions de mer qui se doraient au soleil à moins de quatre mètres des promeneurs, voilà à peu près tout ce qu’elle en garderait, avec l’envie d’y retourner, ancrée elle n’a jamais su pourquoi. Les motels Sixty Six pas trop chers avec les deux lits doubles dans chaque chambre pour deux alors qu’on aurait pu y loger à quatre. Et tout le reste s’efface, le Yosemite Park avec la chambre aux voilages jaunes qu’ils avaient eue à un prix dérisoire d’être arrivés à une heure tardive et d’avoir négocié, un truc qui ne se fait pas ici, et sur la table de nuit un livre d’or où elle avait lu et écrit toute la nuit, le coyote solitaire qui avait suivi longtemps leur voiture quittant la Death Valley et ça lui avait fait dans le ventre comme vouloir se débarrasser de son chien, l’avoir laissé sur le bas-côté et le regarder courir à côté de la voiture, les bouteilles d’eau qu’on conseillait aux touristes d’emmener avant de s’y aventurer, dans la vallée de la mort, la peur que ça fichait. Et maintenant, c’est ainsi qu’elle se sentait, floridée, une petite algue rouge condamnée à faire des arabesques dans un espace réduit, les pieds emprisonnés de se les être soi-même enterrés. Voilà ce qu’elle était devenue. Une floridée. La villa portait bien son nom. Ben passait, levait le bras, rien de plus. Jamais ils ne se parleraient. Le courrier qui traîne sur la table du salon, elle va devoir le signer. Il semblerait que François soit d’accord de lui laisser la maison. Elle a appris que sa nouvelle compagne aimait les voyages. Il l’emmène aux quatre coins du monde. Elle restait donc seule floridée des deux. Dans le nom de la maison, un pluriel qui ne se justifie plus.

Audio : écouter plutôt que lire…

Les Floridées 2 – Voix d’Anne Dejardin

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Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche.

Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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