#23 Chez Bruno
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
Elle guidait son voyage à lui, c’est ce qu’il imaginait. Il rêvait qu’elle lui raconte le sien. Qu’elle réponde à ses questions. Ils se seraient attablés chez Bruno. Il faudrait attendre avril ou mai pour qu’il ouvre la terrasse. Rouge des tables, des chaises, des parasols sur le bitume noir. Ils auraient choisi la meilleure place, celle qui est abritée du vent par la guérite en bois et par la vitre, dans le coin à gauche de l’entrée. Et dans ce face à face pesant pour deux personnes qui se connaissent à peine, la vue sur la mer à 180° pour les yeux s’échapper si nécessaire. Tout à côté le mouvement des vans qui amènent les trotteurs sur la plage, le bruit des sabots amplifié par les parois métalliques, les grooms qui les attèlent, les harnachent. Ils auraient commandé une bière servie dans un verre et à la première gorgée un peu de mousse lui serait restée sur la lèvre supérieure, maintenant c’est plutôt dans les poils de sa barbe, soigneusement taillée comme ça se fait maintenant, parce qu’il faut vivre avec son temps, et surtout se fondre dans le paysage lorsqu’on enquête, paraître le plus normal possible, pour qu’on vous parle, qu’on ne vous claque pas la porte au nez. Il lui aurait posé toutes les questions qui tournent dans sa tête tandis qu’il tente de reconstituer son parcours, ce qu’elle avait comme idée avec ces photos, et pourquoi ici et pas ailleurs, tant d’autres résidences dans d’autres stations balnéaires… Elle pourrait lui retourner la question, pourquoi il s’acharnait à la suivre, n’avait-il rien de mieux à faire, dans la vie, vivre justement plutôt qu’écrire, comme elle l’écrivait si bien, la poétesse, est-ce qu’elle la connaissait, la lisait aussi, regardait ses vidéos poèmes avec les images filmées, la précision des vagues, de la nuit parisienne avec les lumières bleues électriques de la péniche glissant sur le noir brillant, et les lettres blanches qui défilaient en dessous… Assis à côté d’elle plutôt que face à face, parce que les petites tables carrées chez Bruno y invitent, du carré prendre des côtés qui se touchent et qui ne s’opposent pas, il saurait alors qu’elle était toujours en vie, et à contempler son visage lui donner un âge, et si elle avait été jolie ou pas, s’il s’était mis en chasse d’une personne devenue une dame très âgée, comment aurait-il pu le deviner avec les photos qu’elle avait axées sur un objectif si réduit, était-elle encore de ce monde ou ad patres, ou errante, expulsée de la caravane où le sourd-muet l’avait abritée un temps, à cause de sa mort à lui ou de son enfermement dans un hôpital psychiatrique, à cause de la pétition qu’ils avaient mise en route, les nouveaux propriétaires de la villa …, qui craignaient pour leurs enfants, avec tout ce qu’on entend de nos jours, il faut les comprendre, et tout le monde avait suivi, vu que L’Abri côtier, cela ne relevait pas le niveau du quartier, et même ça faisait perdre de la valeur à toutes les maisons autour et même aux plus modestes, alors tous avaient signé et les services de l’hygiène s’en étaient mêlés et on connait la suite, on connaît toujours la suite, même si personne n’en parle, comment ça finit pour ceux qui ne sont pas dans les clous, qui ne savent pas se défendre, qui n’ouvrent pas leur courrier… Avait-elle eu des enfants ? En avait-elle abandonné ? Parce que sournoisement, c’est toujours à cela qu’on arrivait et il le savait sans se l’avouer. C’est forcément là-dessus qu’il en viendrait à l’interroger, si elle qui était une femme, elle pouvait comprendre qu’on fasse cela à son enfant juste sorti de soi, le rejeter.
Audio : écouter plutôt que lire…
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Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.
délice de lecture
et on voit comment tous les liens se sont tissés en arrière depuis le début de ces textes sur les résidences, elle et puis les événements qui étaient arrivés avant
et puis son histoire même, son histoire intime
on y retourne, et on relit encore une fois…
Merci de ton passage, chère Françoise. Et de tes remarques précieuses. 🙂