#09 Joie de vivre.
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
J’ai coupé le réveil avant qu’il sonne. Je ne voulais pas la réveiller. Du coup quand c’est comme ça, je ne dors pas de la nuit. Je guette l’instant juste avant la sonnerie. Je l’entends respirer fort. On ne peut pas dire qu’elle ronfle. Je lui dis, non, tu ronfles pas, tu respires fort. Tu me réveilles, la prochaine fois, elle dit. Elle ne veut pas ronfler. Moi, ça ne me dérange pas. C’est comme si de son souffle elle rythmait le mien. Et ça me tient compagnie quand je ne dors pas. Je repousse le drap et je me lève sur la pointe des pieds, mais le parquet craque. Comme on n’y vit pas à l’année, je n’arrive pas à mémoriser quelles lattes font ce bruit. Je pose le pied délicatement, puis l’autre et à un moment le craquement déchire le silence. Elle va se réveiller, je me dis. Je n’aime pas quand elle descend avec moi les jours de pêche. Elle traîne dans la cuisine en faisant la gueule. Si elle est bien éveillée, elle recommence sa litanie du genre, on fait jamais rien ensemble. À croire qu’elle est jalouse de Ben. Ben, c’est l’Américain qui vit dans la grosse villa plus bas. Il vient d’acheter un bateau tout neuf. Il veut me le montrer. Il a vécu à Cap Cod. La pêche, il sait ce que c’est. Je ne sais plus comment on est devenus potes. Les Américains, c’est pas farouche, ça parle à tout le monde. Hi, Man, et c’est parti. Julie n’aime pas ses manières. Quand je commence à rassembler mes affaires pour le lendemain, elle dit, tu pars encore avec Gatsby. Je préfère ne pas répondre. Elle le sait, non ? Ça servirait à quoi ? À envenimer. Cette fois on dirait qu’elle ne s’est pas éveillée. Je descends à la cuisine. Ici on n’a pas de machine à café. Il faut remplir la cruche en verre, mettre un filtre en papier et puiser dans le pot avec la dosette en pointe. Il n’y a pas assez de lumière. Je ne distingue pas bien les graduations sur la machine. Je jure, c’est plus fort que moi. Si je dépasse, le café sera imbuvable. Le matin c’est la seule chose qui importe. Tout le reste m’est bien égal. Ma journée ne commence qu’après mon café. Julie le sait. Les bons jours, elle attend pour m’adresser la parole. Après je suis plutôt un garçon cool, amoureux, attentionné. Juste avant de refermer la porte d’entrée, j’entends Julie qui crie : « Surtout tu ne me ramènes pas de poisson, hein ? » Enfin si vous en prenez, elle ajoute, histoire de m’énerver. Elle le sait pourtant que les jours de pêche, elle ne peut pas m’énerver. Ben va encore insister pour que j’en emmène la moitié. Il dit si tu veux, je nettoie complet et je te donne. Pour moi, c’est vite. Parfois je me dis que ce serait plus simple d’en accepter quelques-uns, mais après j’en fais quoi ? Je rouvre la porte et je crie vers l’escalier, bonne journée, Chérie. J’ai vraiment envie qu’elle profite de sa journée. Un gars plutôt cool, c’est ainsi qu’elle me voit les autres jours.
Audio, écouter plutôt que lire…
Retrouver les livres de Laurent Peyronnet :
MAGNUS, une histoire pour tuer le temps (format poche)
https://www.amazon.fr/MAGNUS-histoire-temps-format-poche/dp/237821023XTandis que la tempête fait rage dans les montagnes de Norvège et que Magnus tente de rentrer chez lui, il est recueilli par un vieillard étrange et inquiétant. Cette rencontre sera le point de …
Et ses lectures sur sa chaîne Quelques choses à vous lire. Son cycle Raymond Carver, Débutants, 17 nouvelles à ne pas manquer.
Quelques choses à vous lire.
Ses lectures sur sa chaîne Youtube
Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.