#12 bis La passagère (avec la vidéo, c’est mieux !)
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires de la Manche (suite)
Je souhaitais expérimenter une même vidéo pour deux textes différents, celui écrit à propos de la villa La passagère lu par la poétesse, Gracia Bejjani et celui écrit plus tard qui listait les prises de vue qui seraient nécessaires pour monter la première vidéo. Que penser au final de ce décalage ?
La voix de Gracia Bejjani à retrouver dans ses vidéos sur YouTube (2) gracia bejjani – YouTube
Son site gracia bejjani – lettres – voix – images
Son dernier livre : Amazon.fr – J’ai appris a parler sur tes levres – Bejjani, Gracia – Livres
Relire le texte plutôt que regarder et écouter…
Cécile a tout pour écrire, l’histoire, les prénoms, le secret. Il n’y a plus qu’à remplir. Elle peut partir de sa tristesse, mais on devrait plutôt parler de dévastation. Quels mots avait employés le coach au juste ? Quelles questions lui avait-il posées ? Étranges, si on y repense. Étiez-vous heureuse avant ? Il parlait d’avant qu’elle mette Laurent à la porte bien sûr. Sans hésitation elle avait répondu oui. Il était très gentil, très présent. Présent, c’est le mot qu’elle avait utilisé. S’était-il étonné en silence de sa réponse. Avait-il eu peur de soulever le lièvre ? Il avait bien dû y penser, se demander comment diable on pouvait être très présent dans de telles circonstances ? Votre façon de vivre ne regarde que vous, il a dit à la fin de l’entretien. Si vous étiez mieux avant, pourquoi vouloir changer les choses ? À cause du regard des autres ? À vous de définir votre propre way of life. Pourquoi avait-il prononcé ses mots en anglais ? Ils restaient à flotter comme panneau lumineux au fronton d’une enseigne. Ils lui faisaient le même effet. Dérangeants de trop de présence. Sur la façade aussi, les lettres pour nommer la villa où il l’avait installée voici six ans. Pour qu’elle puisse écrire au calme, loin de l’agitation parisienne. Et pour la naissance de l’enfant, l’air de la mer, ce serait bien. Avec le TGV, en une heure, il serait là. À peine plus long que ses trajets journaliers quand ils vivaient à Paris. Avec l’aéroport proche, pour les voyages si fréquents qu’il devait faire pour le boulot, ils ne verraient pas la différence. Elle avait toujours rêvé de vivre au bord de la mer. Elle avait accepté. Le petit était né. L’école était à cinq-cents mètres de la maison. Et le club de voile à deux pas. Lorsqu’il lui avait fait visiter la villa, une fois la voiture garée sur le bas-côté, là où tous les emplacements seraient pris d’assaut en juillet et août, mais on était au printemps, le soleil était présent et le quartier désert, elle retrouverait cette alternance entre une vie retirée d’écrivain et une agitation bénéfique à portée, c’est ce qu’il avait expliqué. Depuis le siège où elle était encore assise, le nom de la villa était bien visible, La passagère. Elle y avait vu quelque chose de romantique, une belle dont on s’empare pour l’enlever sur un beau cheval blanc. C’est étrange maintenant qu’elle y repense. Comment le côté éphémère du nom avait-il pu lui échapper à ce point, elle si attentive aux signes. On ne voit que ce qu’on veut voir décidément. Six ans qu’ils y vivent à l’année. Elle a tiré l’échelle depuis le garage jusqu’aux lettres malveillantes. Elle a déniché un marteau dans la caisse à outils au contenu sommaire, personne n’a le temps de bricoler dans cette baraque. Et ça sonne dans sa tête comme un reproche. Une sorte de burin ou de coin métallique, elle ne sait pas trop. Pense qu’il fera l’affaire. Depuis une heure, elle tape, elle effrite. Les lettres inscrites dans le crépi ancien de la façade s’accrochent avec une énergie qu’elle n’avait pas soupçonnée. La boucle du G est la plus rétive. Le burin et le coup de marteau dérapent et glissent dans le creux à côté. Elle tape de plus en plus fort. Lorsque tout est fini, l’échelle et les instruments rangés, elle se sent vidée. Elle n’a plus de colère en elle. Sa décision est prise. Elle va la rebaptiser. Le secret. Ce sera affiché, fiché dans le béton. Elle en fait son affaire. Elle peut lui dire maintenant. Qu’il peut revenir. Reprendre la vie d’avant. Avant que Cécile ne se rende compte que Laurent menait une double vie. Qu’il était marié à Juliette et qu’ils avaient deux enfants.
une histoire de dévastation en résumé…
tout ce qui se cache derrière les façades, derrière les noms accrochés à ces façades… épisodes tragiques de nos vies invisibles, mensonges, révélations, colères , séparations, humiliations
tout ce que tu parviens à fourrer au cœur de tes mots, derrière ceux-là par exemple « Étiez-vous heureuse avant ? » ou encore « … les lettres pour nommer la villa où il l’avait installée voici six ans. », tout ce que ça implique de résignation, et tout ça si commun si banal au fond…
et merci à Gracia pour sa voix qui contient une grande douceur que j’aime…
Chère Françoise, merci pour ce long commentaire et tout ce que tu prends la peine d’évoquer. Et ta formulation : « épisodes tragiques de nos vies invisibles ». J’aime beaucoup. Et aussi pour ce que tu dis de la voix de Gracia, si douce, si parfaite pour ces mots-là, je suis toujours étonnée de l’adéquation à la réception.
Merci pour ces deux textes magnifiques et joliment dits Anne… toujours un plaisir de te lire
à tout soudain
Merci de ton passage et c’est merci grand, ma chère Raymonde. Merci pour Gracia.