#28 Les marguerites et les jonquilles.
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
Les Marguerites. Juste parce qu’il y en avait une touffe au pied de l’escalier de service, de l’autre côté de l’entrée principale, et qu’elles avaient survécu à la longue période où la villa n’avait plus été occupée… Avaient survécu à tout, à l’abandon, au piétinement lors des grands travaux de rénovation, avec la ronde des engins larges et lourds dont les roues labouraient le sol humide, et de ce fait avaient mérité un peu de reconnaissance, et pour rétablir un équilibre, un semblant de justice, réparation aussi de ce qu’elles avaient traversé, contemplant d’un œil extérieur, ne prenant pas parti, jugeant à peine, ne trouvant rien à en dire, pas même aux pleurs de la bonne renvoyée et qui avant de partir avait posé ses fesses sur la troisième marche tout à côté d’elles avant de prendre la route, quand pour elle prendre la route n’avait pas de sens, quand on n’a pas idée de l’endroit où aller et pas de lit nulle part pour s’y coucher à la nuit tombée, avaient survécu au premier pissou du matin du chien vieux, qui dégringolait les marches péniblement et levait la patte contre elles toutes, dès que Bernadette lui avait ouvert la porte. Et d’elles, mêmes toutes fraîches, venant d’éclore, personne pour demander s’il pouvait en faire un bouquet, comme l’avait fait le facteur avec les jonquilles qui bordaient toute l’allée centrale de la villa voisine et qu’il lui fallait remonter à pied quand il y avait un recommandé, et elle, qui donnait un billet tous les dimanches à la messe dans le panier de la collecte, elle avait refusé, elle avait dit non, il n’en est pas question, et depuis il paraît il laissait traîner les recommandés, les oubliait, personne n’était à l’abri d’une erreur, il disait, parce qu’il les avait comptées, à marcher dans l’allée, remonter jusqu’au perron avant de monter les marches pour sonner à la porte, il les avait comptées, plus de cent il y en avait, des jonquilles, mais pour les marguerites, non, personne n’aurait eu l’idée d’en demander, une fleur qui ne s’offre pas, pas plus qu’on l’effeuille, qui perd vite son seul atout : le blanc de ses pétales qui se colore de marron et lui donne l’apparence d’une enfant qui a désobéi et est allée jouer dans la boue, une fleur qui pourrait faire la moue, mais qui ne fléchit pas, qui résiste à tout, et même le désamour, elle ne le connaît pas, parce que pour vivre cela, il lui aurait fallu avoir été aimée. Quand elle, tout ce qu’elle avait récolté, c’était d’avoir été épargnée.
Audio : écouter plutôt que lire…
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Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.
👍👍👍
ah oui, on retrouve ta voix, ton souffle, ton regard pointu sur les choses et les êtres… et ton inimitable façon d’imbriquer et de développer ton récit (j’allais dire heureusement, car c’est là ta « voix » à travers les mots…)
beaucoup aimé aussi le montage des deux voix, les deux si différentes, dans des rythmes opposés et avec des timbres distincts…
chouette moment à savourer…
et puis je connais bien les marguerites, j’en ai plein le domaine ici et je m’efforce à la saison de composer de magnifiques bouquets avec graminées qui, dans les vases adéquats style campagne, sont d’un très bel effet dans le décor…
Merci, chère Françoise, de ta lecture attentive qui soutient le risque d’écrire… et aussi de tenter de mettre un peu de baume au cœur de ces pauvres marguerites. 🙂
Merci pour ce beau montage Anne 😊.
J’aimais déjà beaucoup la lecture de ce texte, mais de l’entendre ainsi c’est un cran d’émotion supplémentaire.
Comme un partage dans une autre dimension.
Je suis heureuse que ça te plaise, Nadira. Tu as lu ce que l’écrivaine, Françoise Renaud, a écrit du montage des deux voix. Merci de m’avoir fait confiance. Ta lecture est parfaite. Grand merci et joie de mêler nos voix pour cette collaboration.
Comme les précédents textes sur « Les Marguerites », j’aime ce dernier de janvier 2024.
L’effet que cette lecture produit m’incite à être super attentive à toutes ces fleurs, à leur parler, à leur donner une singularité.
J’aime aussi l’humour qui se cache derrière la description ou s’entend dans l’audio, une forme de hyperréalisme… Merci Anne
Merci, chère Myriam, j’ai beaucoup de chance de recevoir tes retours toujours pointus et tes ressentis. C’est tellement encourageant. Bises