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#26 Les marguerites

De part et d’autre de la haie :

–Elle est belle, cette villa… 
–Moi j’aime pas. Elle a un air lugubre…


–Venez voir le nombre de maquereaux que nous vous avons ramenés…
–J’espère que vous les avez nettoyés…


–Et tout ce bois à entretenir…
–Surtout avec la corrosion des embruns marins. Ici rien ne tient le coup, Emmanuel l’a dit l’autre jour. Il sait de quoi il parle.


–Une année papa en avait pris cinquante-deux en même pas deux heures, tu te souviens ?



–S’ils ont cette bicoque, c’est qu’ils ont les moyens… Ils peuvent faire repeindre.



–De nos jours… ce n’est plus pareil. Avant… 
–Les temps ont bien changé…
–Et ils nous interdisent la pêche.
–A nous, qui sommes ici deux mois par an. Comme si nous étions responsables de l’appauvrissement des mers.
–Mais les nouveaux procédés de pêche, ils n’ont pas les moyens de lutter contre.


–Pas forcément, vu l’état des boiseries…
–L’air de la mer, ça ronge tout.


–Les enfants jouent bien ensemble, tu ne trouves pas. Même si parfois ça se dispute sec.
–Ou alors leurs parents ont eu les moyens et maintenant eux se retrouvent avec ça sur les bras…
–Non, Camille, laisse-lui son ballon, il est plus petit. Malo, arrête de frapper Augustin.


–J’aimerais bien avoir ça sur les bras, moi…
–Toi peut-être parce que Pierre sait tout faire… Philippe ne sait pas planter un clou et pendant ses vacances il ne faut rien lui demander…


–Qui sait quand ont lieu les grandes marées ? Il y en aura une pendant qu’on est ici ?



–N’empêche, elle est belle, cette villa…


–Tu les emmènes sur la plage à quelle heure ? C’est quand la haute mer ?


–On ne construit plus comme ça aujourd’hui. Chacune a quelque chose  d’original. Maintenant toutes les villas de riches se ressemblent. Blocs carrés, toits plats, huisserie aluminium foncée.


–Tu crois qu’elle pourra nous les garder ? C’était plus facile l’an passé, quand on avait amené la baby-sitter.


–Ils ne sont pas foulés pour lui donner un nom…


–Il va encore à la pêche à pied, à son âge ?
–Dis, Papa, c’est demain que tu comptes sortir le bateau ?
–On va prendre l’apéro à la paillotte ce soir ? Est-ce que les femmes veulent venir ?
–Qui s’occupera du dîner ? Vous y avez pensé ?
–Tu comptes les coucher à quelle heure, toi, les tiens ?


–Tu trouves ? Marguerite, c’est le prénom de ma belle-sœur, mais elle préfère qu’on l’appelle Margot… 


–Qui veut jouer au ping-pong ?
–Ah, non, ce n’est pas le moment, on part au marché. Et on ne va pas porter seules les gros paniers.
–Des tomates, il faut en prendre plus que la dernière fois, tu as vu comme c’est parti vite.
–Ben, il n’y a pas que les tomates de Chapdelaine tout de même. Et on peut en racheter d’autres ailleurs quand on n’en aura plus.
–Non, Manou ne veut pas. Elle dit qu’il faut soutenir les producteurs locaux, ceux qui ne font pas n’importe quoi.
–Elles sont où les raquettes ? Quelqu’un les a encore laissées dehors. Combien de fois dois-je le dire, qu’il faut les rentrer le soir, sinon l’humidité altère le bois.
–J’ai dit pas de ping-pong maintenant, on va au marché !


–Et tu as vu le jardin, c’est dommage quand même de le laisser ainsi.
–Tu as raison. Mais quand on n’est pas là toute l’année, tu imagines.
–Tout de même !


–Et cette année, il y aura moyen d’avoir un peu d’aide pour le jardin. Personne ne remarque que la haie déborde et bientôt le lierre empêchera le portail de s’ouvrir.
–Et les bambous des voisins, on ne peut pas aller leur dire, que c’est interdit, qu’ils doivent les maîtriser.
–Laurent a bien une idée pour régler le problème définitivement, mais maman n’est pas d’accord.
–Parle moins fort, ils vont t’entendre. A moins que tu ne le fasses exprès justement…


–Bah, pour ce que ça pousse en front de mer, le sol c’est pas de la terre, c’est du sable…
–Tout de même je trouve cela dommage.


–Et Ben, quelqu’un sait ce qu’il devient ? On a des nouvelles ? J’ai vu la villa ouverte en passant…
–Elle est toujours ouverte, la villa de Ben. Même quand il n’est pas là. Tu oublies qu’il a accueilli Madame de Servizy…
–C’est le moins qu’il pouvait faire, vu qu’elle lui a vendu sa maison…
–Peut-être, mais il n’était pas obligé…
–Un peu quand même, s’il voulait la maison…
–Oh, toi tu abîmes tout avec tes réflexions… Ton cynisme.
–Je ne vis pas dans le monde des bisounours, moi, Maman.  Elle a quel âge, Madame de Servizy, maintenant ?


–Tu arrives à lire le nom de la suivante ? Même avec mes lunettes, j’ai du mal…
–Les Jonquilles !
–Ils ne se sont pas foulés non plus, ceux-là…

Audio : écouter plutôt que lire…

Avec les voix de Claude Bajela, Gregoire Saillard, Julie Biondo, Arielle N’Diaye, Clément Royer, Johanie Saguerre, Annick Taylor, Françoise Métras, Marc Esposito, Nathalie Bokassa de la troupe de la Compagnie du Bord’Eau. Je vous propose deux versions audio. Et si vous me laissiez un commentaire pour me dire laquelle vous préférez ?

Compagnie du Bord’Eau (cie-bordeau.net)

Les Marguerites I – voix de la compagnie du Bord’eau, troupe de théâtre dirigée par Pascale Matthewson

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Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche.

Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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6 Commentaires

    1. Superbe idée de m’envoyer ce lien à « ta » Marguerite. J’adore ton texte et me demande comment il m’avait échappé. L’atmosphère induite est tellement bien donnée, on voit avec les yeux de la narratrice qui observe et traque les traces de vie de la maison en face de sa chambre d’enfance. Merci, Caroline.

  1. On peut entendre chacune de ces voix qui s’élèvent, comme si on les reconnaissait, comme si on avait déjà assisté à toutes ces scènes
    mais c’est vrai qu’ils ne se sont pas foulés pour lui trouver un nom à cette villa !! (j’adore… et en plus ça te sert de conclusion…)
    toujours la cohérence assurée avec les textes précédents avec la percussion de ton regard///

  2. un drôle de tissage de conversations, on s’y croirait, j’adore la poésie de ce désordre de phrases banales qui se répondent

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