#24 Dans le vent
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
Les expressions comme les corps tombent en désuétude. Être dans le vent, tomber dans l’oubli, tomber sous la loi de la gravité, la peau plisse, celle des maisons aussi, se lézarde et s’ouvre, comme un souci d’honnêteté, oser l’étape de l’ouverture, la déchirure, ne pas s’arrêter juste avant, à temps, y aller franco, le fer rouille, tache le crépi, érafle le béton dans lequel on l’avait fiché, être une jeune fille dans le vent, « être dans le vent » n’est plus à la mode, qui oserait prononcer cette expression, ce serait comme s’afficher d’un autre temps, se proclamer dinosaure en quelque sorte, je ne suis plus dans le vent, je suis un pied dans la tombe, tombe, tout tombe, les joues, les seins, la peau des cuisses, les fesses, exposer ses vieilles chairs, les offrir au soleil, à l’air, au vent, aux bains glacés jusque dans l’hiver, avant de les offrir à la terre, les enterrer, réchauffer ses vieux os, engourdis déjà jusqu’à la moelle, elle l’avait été dans le vent, une jeune fille dans le vent, comme un vieux poster qui se décolle du mur de la chambre où on dormait depuis l’enfance, qu’on avait quitté à l’adolescence, laissant tout derrière soi, comme faire peau neuve, revêtir une nouvelle peau et laisser l’autre derrière soi, ici, dans la chambre d’enfance, avec au mur maintenant le poster dont un coin retombe, tout tombe, la punaise a été aspirée depuis longtemps, la main le plaque au mur mais il ne restera en place que quelques instants, le temps de repenser aux idoles de l’époque, des amours violentes comme une première tempête et quand tout est redevenu plat, il ne reste que la honte lorsqu’il faut se souvenir, elle n’a jamais été indulgente, dans le vent, les cols pointus et longs, les pulls sans manches, les pièces aux coudes comme s’il fallait cacher un trou, une usure du tissu que leur génération ne connaîtrait pas, on faisait semblant, pas la guerre, pas la faim, pas la peur, la maison moderne en préfabriqué, que le vent ou le manque d’entretien n’ont pas déracinée, les rafales, les bourrasques, elle est toujours debout, seule l’expression qui lui donnait double sens est tombée en désuétude, elle ne porte plus qu’une évidence toute plate : sa position en plein vent.
Audio : écouter, plutôt que lire…
Cliquez ci-dessous
En laissant ici votre adresse mail, vous serez prévenu.e à la mise en ligne d’un nouveau contenu.
Merci pour vos like, vos gentils commentaires, votre abonnement au blog, à ma chaîne YouTube.
Vous pouvez aussi vous abonner à ma chaîne YouTube : (229) anne dejardin – YouTube
Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.
En écho à ce texte, la lettre de Colette à Marguerite Moreno :
« Figure-toi que j’arrive ici, j’ouvre un tiroir de mon petit bureau pour prendre de l’argent, une lettre tombe, une seule : c’était une lettre de ma mère, une des dernières, écrite au crayon, avec des mots inachevés, et remplie déjà de son départ… Que c’est curieux, on résiste victorieusement aux larmes, on se »tient » très bien, aux minutes les plus dures. Et puis quelqu’un vous fait un petit signe amical derrière une vitre, – on découvre, fleurie, une fleur encore fermée la veille, – une lettre tombe d’un tiroir, et tout tombe… »
Bonjour Anne,
J’aime tellement quand tu dis tes propres textes…
Bonne journée
Raymonde
Chère Raymonde,
Voici qui me rassure quant aux audios où je me permets de porter de ma voix mon propre texte, même si j’ai besoin qu’ils soient portés par d’autres voix aimées, admirées et connues de les avoir entendues dans des vidéos que ces artistes produisent. Cette distance m’aide à trouver des images, cette distance en fait un nouvel objet où je me sens plus inspirée et plus libre, quoique… Il y a une certaine pression tout de même. Peut-être même davantage.
Merci tant pour tes retours.
quelque chose d’implacable qui nous touche dans ce texte, quelque chose qui nous atteint tous, et c’est irrémédiable…
tout tombe en effet, nos chairs et nos murs
magnifique texte qu’on peut relire plusieurs fois à la suite pour en augmenter l’effet
(je vais aller écouter l’audio un peu plus tard…)
Merci, chère Françoise, je crains toujours l’effet de mes textes sur les lecteurs. 🙂
Tes commentaires toujours si puissants.