#02 LOU KA MA
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
LOU KA MA, ça ne voulait rien dire ! Elle avait cherché sur Internet. Peut-être était-ce du breton. Ou alors du patois normand. Elle n’avait rien trouvé. Sans doute n’était-ce que la première syllabe de trois prénoms. Louise, Katharine, Mathilde. Le K étonnait, surtout en 1900. Quand était née Katharine Hepburn après tout ? Le temps passait si vite. Et cent vingt ans plus tard, Louise, Katharine et Mathilde mortes ou encore vivantes, mais obligées de vendre la maison familiale, les trois sœurs restées un temps dans l’indivision après la mort de la mère, mais tant que la sœur célibataire y vivait, les autres n’avaient pas réclamé leur part d’héritage, du moins pas celle de la maison, après tout ce que Louise avait fait pour leur mère, les dernières années n’avaient pas dû être drôles, mais ne se plaignant jamais, et la culpabilité que Katharine en avait ressentie, baptisée Catherine, mais lorsque le père avait voulu faire coller au fronton la tuile gravée, LOU CA MA, elle l’avait arrachée de ses grandes mains et jetée par terre. Le carrelage en portait encore l’éclat. Elle avait crié et pleuré, elle n’était plus une petite fille, elle exigeait qu’on écrive son prénom avec un K ! Une pareille détestation de son prénom, allez savoir d’où ça lui venait. Ou alors déjà ses rêves de grandeur, sortir du lot, se faire remarquer. Catherine comme dans la chanson stupide, disait-elle, et d’une voix qu’elle éraillait sciemment elle avait hurlé plus que chanter « Catherine était chrétienne, lac zim boum boum tralala pouette pouette, Catherine était chrétienne, son père, son père, son père ne l’était pas… » avec des mimiques hideuses qui tordaient son joli visage, avant de passer à l’argument de la Sainte Catherine, coiffer Sainte Catherine, accusant ses parents de la vouer au célibat, comment de ce C de Catherine ils la clouaient au pilori, ce C bien visible de la rue par tous ceux qui passaient avenue Vauban. Mais Catherine savait y faire. Toujours le père levait les yeux au ciel, mais ne disait rien. La mère comme à son habitude préférait désamorcer. Elle parlait d’autre chose, réclamait de l’aide en cuisine ou ailleurs. Mais elle avait eu gain de cause, Catherine, et le K figurait toujours au début de la seconde ligne sur la tuile remplacée, légèrement enfoncée dans le crépi qui avait été d’un doux rose. Et celle qui était restée célibataire, ce n’avait pas été elle, en définitive, mais Louise.
Audio, écouter plutôt que lire…
Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.