#22 Les Myrtilles
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite)
« Tu ne pouvais pas me laisser faire ? Tu as vraiment fait n’importe quoi ! » Sa voix hargneuse, sa voix colère, sa voix qui perce les haies des voisins, passe au-dessus du mur du fond du jardin. Sa voix qui se croit seule. Sa voix longtemps à hurler. Sa voix injures. Sa voix insanités. Sa voix qui jamais suffisante pour calmer la colère du dedans. Est-ce qu’elle lui répond ? Est-ce que dans sa gorge ça s’est noué sous l’effet de la peur ? Est-ce qu’elle tremble ? Vacille-t-elle sur ses jambes frêles et mal assurées ? Est-ce qu’elle regrette ? S’excuse ou se justifie ? Est-ce qu’elle a peur des coups ? Est-ce que son bras s’est levé à la hauteur de son visage en anticipation ? Est-ce qu’un jour elle le trouera ? Est-ce à cela qu’elle pense en entrant dans la cuisine, après s’être aidée du bras à la rampe pour monter les escaliers qui y conduisent. Est-ce qu’elle y pense précisément en voyant le couteau à viande qu’on n’a pas rangé dans le tiroir depuis le gigot de midi ? Est-ce que l’avocat rejettera la préméditation ? Monsieur le juge, c’est en apercevant le couteau et sous le coup de tant d’humiliations que ma cliente… Un malencontreux concours de circonstances, la présence du couteau, Messieurs les Jurés, et cet homme qui fait un pas de trop vers elle… À droite de la porte de la cuisine, un petit vasistas carré reste ouvert jour et nuit pour le chat. Qu’il puisse entrer et sortir. Pour l’instant il est quelque part couché dans la haie des voisins. Il ne rentrera pas de sitôt. Pas quand il entend cette voix-là. Inutile qu’elle l’appelle, malgré son besoin de réconfort. Elle imagine son ronronnement sur ses genoux, le chaud le doux à portée, y enfouir ses doigts. Elle rince sous un filet d’eau le couteau, avant de le glisser dans le tiroir. Elle reste debout à se tordre les mains. Fait tourner son alliance devenue trop large avec les années qui décharnent sa vieille carcasse. Ce mouvement répétitif qu’il déteste, qui l’agace, qui augmente sa colère. Mais c’est plus fort qu’elle. Elle le fait sans s’en rendre compte. Elle pense au chat. Aux mains de son mari. Comme elles avaient été arrangées, la fois où soudain énervé, il avait voulu déloger l’animal endormi sur le canapé. Les griffes plantées profond dans la peau comme hameçons. Après cela, la pauvre bête crachait dès qu’il s’approchait. Et pendant longtemps, ça avait duré. Le nom de la villa, c’est le nom du chat, de leur tout premier chat. Une idée à lui. Et il a appelé Myrtille, tous ceux qui ont suivi. Mûre aurait été plus approprié à la région, mais c’était trop court pour un nom de chat. Et au fil des décennies, Myrtille pour remplacer Myrtille.
Audio : écouter plutôt que lire…
Retrouver la comédienne, Karin Romer sur le site : Karin Romer | Les Archives du Spectacle.
En laissant ici votre adresse mail, vous serez prévenu.e à la mise en ligne d’un nouveau contenu.
Merci pour vos like, vos gentils commentaires, votre abonnement au blog, à ma chaîne YouTube.
Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.
j’aime beaucoup ce texte incisif attendri par le chat, plein de mystère, plein d’images et d’émotions, on est en plein dedans.
Merci, Elisabeth, très touchée de ton passage et de ton commentaire. A bientôt.
j’ai failli penser que tout le texte pourrait être questionnement « est-ce que, est-ce que ? »…
et puis on aimerait qu’elle l’appelle, le doux félin planqué dans la haie, parce qu’on a vraiment envie de la réconforter, la pauvre, et d’avoir un peu de tendresse nous aussi en ricochet… histoire de contrebalancer l’image des griffes plantées dans la chair telles des hameçons…
terrible histoire…
tu nous emmènes loin à chaque fois dans l’histoire des habitants de ces lieux inédits.
Tellement agréable de découvrir tes commentaires. On pourrait réécrire une histoire juste à partir de ce que tu en dis, on pourrait aussi imaginer de faire un atelier à partir du commentaire. On demanderait d’imaginer et d’écrire le texte qui a suscité ce commentaire. J’adore. Merci, Françoise.
Chère Anne,
Myrtille, une originalité pour appeler une génération de chats… et l’idée de réécrire une histoire à partir du commentaire est enthousiasmante, vraiment. Vivement dimanche.
Chère Raymonde,
Merci de ton intérêt pour les chats du quartier et pour mes textes.:) Bises