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#21 Ma petite folie

Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite)

Si vite passée, une vie. Comme les autres, elle ne l’avait pas cru. Entendu peut-être, mais pas assimilé. Pour bien mourir, il faut ne pas avoir de regrets. Est-ce qu’elle en a ? À part peut-être d’avoir été trop sage, quand tant d’autres autour se permettaient… Mais quoi donc, qu’aurait-elle voulu faire qu’elle n’avait pas fait ? Le tour du monde ? Bah, elle avait voyagé dans le dedans des frontières, mais à peu près partout en France. Chaque année, une nouvelle destination. Ils partaient en famille avec les deux enfants. C’était un beau moment. Le père faisait la planche des heures, les petits jouaient à sauter dans les vagues, à faire des châteaux. Dès le printemps, quatre mois avant le départ, elle s’achetait un nouveau maillot, choisi dès l’arrivage d’été du petit magasin de la grand-rue où toute la lingerie est si chère. Le tout premier, son préféré, elle s’en souvient encore, portait de grandes fleurs rouges. Un prix pareil pour si peu de tissu. Une petite folie. Surtout qu’elle ne les usait pas, vu la peur qu’elle avait gardée de l’eau. À cause de Bernard, cet oncle d’à peine dix ans de plus qu’elle. Du côté de son père qu’elle avait peu connu, c’étaient des bateliers. Bernard, pour qui elle avait le béguin à onze ans et qui pour lui apprendre à nager l’avait jetée dans la rivière. Cela n’avait pas amoindri le sentiment qu’elle lui portait, c’est l’eau qui à jamais lui était devenue menaçante. Pourtant chaque année, il lui fallait un nouveau maillot. Et elle restait allongée au soleil à regarder ses enfants et leur père passer des heures dans l’eau. Raisonnable, rangée derrière son mari, le suivant d’appartement de fonction en appartement de fonction, consciencieuse à tenir son rang, celui qu’elle avait acquis par mariage, et puis à soixante ans, comme se jeter à l’eau, elle avait dit, on la prend ! Alors qu’ils étaient bien d’accord tous les deux, qu’ils en avaient discuté, que ce ne serait pas raisonnable, cette maison beaucoup trop grande pour eux deux à la retraite, tu imagines. De sa voix douce et retenue, dans le feutré du bureau notarial aux murs lambrissés de bois sombre, au notaire qui déjà était tourné vers son mari, attendait sa réponse, elle avait dit : on la prend.

Audio : écouter, plutôt que lire…

Ma petite folie – Voix de l’actrice et comédienne, Martine Pascal

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche.

Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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2 Commentaires

  1. j’aime cette distance que tu installes entre le nom de la résidence en titre et ce qui se dévoile dans le développement du texte, cette « petite folie », ce « si peu de tissu » qui raconte tout de sa vie à elle, de leur vie à eux tous, de cette famille dans le sens strict du terme… et de ce Bernard qui… on ne sait pas…
    magnifique…
    et merci pour la lecture de Martine Pascal…

    1. Merci, Françoise, de ce prolongement que tu donnes à mon travail. Et je trouve comme toi que la façon dont Martine Pascal lit ce texte est parfaitement en adéquation.

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