#13 Gré du vent
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
Le long du temps, à marcher à photographier, elle avait bien dû le connaître. Ce temps incompressible nécessaire au surgissement. Le long du temps, eux, ils l’avaient perdu. Ils étaient attablés dans la véranda verrue, premier prix, châssis alu, qu’il avait fait rajouter à la villa. Pendant qu’elle photographiait, elle avait bien dû penser, s’être dit peut-être qu’on avait tort de croire que le temps leur paraissait long, à eux assis dans des fauteuils d’osier qui occupaient presque toute la place, alors qu’il n’est pas long, mais compté pour eux deux emmaillotés dans de lourds peignoirs en éponge blancs, identiques, de ceux qu’on reçoit dans les hôtels spa et dans la doublure desquels ils cachent maintenant des puces, pour lutter contre l’envie de les emporter ni vu ni connu dans ses bagages. Derrière eux une aide-soignante en tablier bleu se penche pour verser le jus d’orange d’un geste précis qui souligne leur maladresse à porter à leur bouche. Pendant qu’il mâche, il regarde la mer. Parce que depuis là où on l’a assis, il peut encore l’apercevoir par delà le parking. Il a fait construire avec les moyens qu’il avait. C’était la mode du préfabriqué, un temps de construction réduit. Moins chère que ses voisines, moins belle aussi… Mais l’emplacement valait de l’or. Aujourd’hui plus encore. Pendant qu’il mâche, prudemment pour ne pas risquer la fausse route, il pense qu’il a eu raison de lui offrir cette semaine ici dans leur maison où ils ne pouvaient plus venir depuis longtemps, de ne pas regarder à la dépense, prendre une nurse, se faire conduire, même des bagages elle s’en était occupée, puisque c’est décidé il va mettre en vente. Le temps long à marcher, il le connaît aussi, depuis qu’il la cherche, qu’il refait le parcours qu’elle a dû faire pour prendre ces photos. Les clichés ne dévoilent des villas que les noms. Ils guident ses propres pas. Au fur et à mesure, ils retrouvent leur emplacement, aujourd’hui c’est Au gré du vent. Il peut alors découvrir le hors cadre de la photo. Il peut l’imaginer elle, debout, plantée devant la façade à cadrer à ajuster la netteté de l’inscription. Alors il lui prête des pensées… Pendant qu’il marche sur ses traces, comme dans le sable mettre le pied dans l’empreinte laissée par celui d’avant, il lui prête ses pensées. Rien n’est réel. Le sable aux semelles rend tout vacillant. Il voit les quatre petits trous dans le revêtement de fausses pierres aux coins de la fenêtre. C’est là qu’étaient accrochés des volets qui devaient claquer au gré du vent et qu’on a fait remplacer par des volets roulants. Le coffre extérieur, c’est le plus pratique et le moins onéreux aussi. Tout est hermétiquement clos, plus rien ne passera, pas le moindre souffle de vent, de vie non plus.
Audio, écouter plutôt que lire :
Cet atelier figure dans l’ouvrage Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, édité chez Publie.net en version numérique et imprimée : 456 pages, 24€ / 5,99€. Vous pouvez comma…
Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.
En laissant ici votre adresse mail, vous serez prévenu.e à la mise en ligne d’un nouveau contenu.
Merci pour vos like, vos gentils commentaires, votre abonnement au blog, à ma chaîne YouTube.