#17 Le nid
Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires (suite).
Le nid avec ses lettres qui s’effaçaient lentement, un i sans point comme un trait vertical plus court que les autres, seul le d semblait intact et c’est ce qu’elle lui avait dit, que le d de départ l’appelait, qu’elle voulait voyager, ne pas venir ici en vacances chaque année au même endroit, avec les mêmes paysages, les mêmes couleurs plaquées aux mêmes endroits, les mêmes gens à saluer, à qui demander quoi de neuf depuis l’an dernier, le petit dernier, oui, bien sûr, il est beau, il faut toujours dire aux parents, aux grands-parents qu’il est beau, comme on dit bonjour le matin sans y penser, parce que ça se fait ainsi, saluer pour commencer la journée, elle voulait voyager, découvrir le monde, bouger, mais lui pas, à cause de son boulot, toute l’année à mener des hommes, des femmes aussi, les motiver, les booster, les accorder au-delà des rivalités et des égos, alors durant ses vacances, il avait besoin, tu comprends, de rester dans une zone de confort, c’était le terme à la mode, mais disait-on déjà ainsi à l’époque, durant ses cinq semaines de vacances il avait besoin d’être dans cette maison où tout lui parlait de l’enfance, où chaque latte du parquet vieux chantait un air qu’il pouvait anticiper avant son pied, avec les mêmes activités, le jour de la pêche à pied, la sortie à Chausey, celle à Jersey, les jours de marché, le festival Sortie de Bains, la cabane Vauban, les magasins de Granville les jours de mauvais temps, la villa Dior, y monter depuis les escaliers et quand la respiration est encore en manque d’oxygène pénétrer dans la roseraie les yeux dans le bleu en bas et le nez dans leurs saveurs qui déjà portaient trace de flétrissure dès juillet, et c’était humer note de nostalgie, le temps passe si vite, elle aurait voulu voyager, elle a retrouvé le carnet de l’été où elle s’était mis dans la tête d’écrire un voyage imaginaire. Quelques pages manuscrites d’une écriture sage et régulière au début et qui évolue, les lettres s’agrandissent et leur rondeur se fait anguleuse, des pointes et des pics agressifs, avec des interlignes qui s’amenuisent alors qu’on en est au tout début du carnet, qu’il reste un tas de pages à bleuir, parce qu’elle a écrit à l’encre, d’un stylo plume dont elle ne se souvient plus, sur le lit elle a préparé ce qu’elle allait emporter, les t-shirts sont décrits précisément, le mauve qu’elle avait porté cet été où l’américain les avait tous invités et c’est le frottement de la pointe de ses seins contre le tissu qui lui était revenu, c’était avant que Paul quelques années plus tard lui fasse remarquer que les bouts qui pointent tout le monde les remarquait et que non vraiment elle n’a plus l’âge, ses seins libres sous les tissus, la sensation que cela lui faisait comme abriter en secret contre sa peau deux petits oisillons palpitants, elle n’avait rien écrit à propos de chaussures ou de brosse à dents, vers quelle destination s’était-elle vue partir, le carnet est longuement décrit, parce qu’à lui seul il porte tout le projet du départ, mais rien jusqu’au bout du texte quant à la destination, la dernière phrase n’a pas de point et il lui manque quelque chose, comme s’il demandait à être continué. Elle le referme, se dirige vers la poubelle de la salle de bains et le jette. Dans l’autre chambre, les valises attendent de reprendre du service dans quelques semaines, lorsque se termineront les vacances. Elle empoigne la plus petite. Une fois qu’elle l’aura remplie, elle décidera de la destination. Un mot qui commence aussi par un D.
Audio, écoutez plutôt que lire…
Mon intention :
Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C’est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.
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c’est fou comme s’y installe dans cette histoire que tu nous racontes là !
et on la suit, elle et son désir de voyage, son désir d’écrire, ce carnet justement retrouvé écrit à l’encre, cette nostalgie
c’est fort, c’est beau…
tout un roman déployé en quelques mots (roman à venir ?)
Je croyais t’avoir répondu… Apparemment il n’en est rien. Merci, chère Françoise, et pour le roman, qui sait…